L'ancien bâtiment de la Sécurité Sociale à Mont de Marsan
par Béatrice Haurie, docteur en histoire de l'art
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Vue de la maison Bié, devenue le Cours
Secondaire pour Jeunes Filles en 1903
Cl. Arch. Dép. des Landes ©
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Les trois verrières
du bâtiment de la Sécurité Sociale, 8 rue du Maréchal Bosquet à Mont de Marsan,
sont réalisées à partir de 1951 après les transformations de l’ancien Cours
Secondaire pour jeunes filles. Les architectes sont les montois Henri
Dépruneaux (1867-1953) et son fils Pierre Dépruneaux (1898-1978). Henri fait les plans de la démolition
de la partie arrière du Cours Secondaire à partir de 1936[1].
Pierre apporte la commande des baies à la société anonyme Mauméjean frères, le
8 janvier 1951[2].
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Vue du hall d'entrée de l'ancien
bâtiment de la Sécurité Sociale.
Cl. C. Lafférrière ©
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Situées sur
la façade Nord-Est de l’édifice, les verrières, placées dans des châssis
métalliques, éclairent, grâce à leurs dimensions monumentales, une imposante
cage d’escalier[3]. Seulement
visibles de l’intérieur, elles ne sont pas mises en valeur depuis l’extérieur
puisque la volonté de Pierre Dépruneaux est « de chercher à cacher à la vue des occupants du bâtiment la ruelle assez
sombre et dépourvue d’intérêt où elles prennent jour[4] ». Étant donné la
situation de lumière assez précaire, Charles Mauméjean propose de souligner
l’éclairage naturel par une triple verrière composée de « verres
multiformes blancs et jaunâtres accrochant la lumière et la réfléchissant au travers de prismes de quelques verres en
relief, émaillant l’arabesque des fonds[5] ».
Dans la même lettre, le maître-verrier indique que les matériaux utilisés sont
des « verres translucides pour les gris blanc, opaques pour les
opalines blanches et noires ».
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Détail des vitraux de Charles Mauméjean.Cl. C. Lafférrière © |
Serties dans un treillage de plomb, ces compositions abstraites et
géométriques sont proches des œuvres néo-plastiques du
groupe hollandais De Stijl, qui s’intéresse à la technique du « vitrail
blanc » réalisé à partir de verres imprimés fournis par l'industrie. Cette
technique, rendue célèbre par le maître verrier Louis Barillet, séduit
l’architecte Robert Mallet-Stevens qui considère le vitrail comme un élément
constitutif de l’architecture. Le fondateur de l’Art international écrit en
1927 : « Dans un escalier, le luxe de la couleur ne s’impose pas …[…] Au
contraire, le vitrail fait de verres blancs spéciaux offre de nombreux
avantages en tant qu’éclairage. Les verres prismatiques, grâce à leurs facettes
de réfraction, dispersent rationnellement les rayons lumineux dans des pièces
privées d’un grand éclairage naturel. Les innombrables types de verres imprimés
distribuent de la lumière extérieure dans des directions différentes. Grâce à
l’emploi judicieux de ces multiples verres donnant des gris et à l’adjonction
de petits éléments opaques et de morceaux taillés dans des miroirs, Barillet a
composé des vitraux d’une grande tenue et d’une réelle beauté[6] ».
C’est selon cette technique très spéciale, mais dans un esprit modérément
moderne souhaité par Dépruneaux, que Mauméjean conçoit les tableaux de lumière
de Mont-de-Marsan.
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Vitrail de la fenêtre basse du rez-de-chaussée. Cl. C. Lafférrière © |
L'association de petits éléments ondés et des segments de
cercles bien lisibles, la clarté et la simplicité des formes, le réseau des
plombs très présent, le jeu des contrastes et la force de la couleur font de
ces panneaux des éléments de tradition et de modernité. Dans la frontalité des
visages, Mauméjean est désireux d'un classicisme épuré et utilise un
schématisme « tubiste » selon une stylisation contrôlée.
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Vue de la grande verrière de l'entresol. Cl. C. Lafférrière © |
Au rez-de-chaussée,
la fenêtre basse réunit deux colombes au dessin synthétique et aux formes
schématisées, volant vers le beau volume d’un disque jaune représentant le
soleil. La première colombe est verte, l’autre a une palette jaune-sable. Elles
sont rehaussées par l’éclat de quatre étoiles vertes, traitées en pointe de
diamant.
À l’entresol, partie la plus fréquentée de la cage d’escalier, « un motif exprimant un double visage,
l’un jeune, l’autre vieux, car la
prévoyance donne au jeune homme la sagesse du vieillard[7] »
se détache clairement du vitrail blanc. L’homme jeune est imberbe. Son
visage idéalisé est traité dans de chatoyants camaïeux de rouge, et il fixe
l’éternité avec un calme olympien. Le vieillard barbu est traité dans une riche
harmonie de bleus et de verts. Mauméjean qualifie la verrière de « symphonie en blanc, gris et noir avec accents de verdâtre pour la carnation du vieillard et de rose pour
la carnation du jeune homme[8] ».
Les couleurs vives, belles dans leur tonalité, rendent le modelé et les expressions. Elles manient avec subtilité les contrastes, pour donner à la
composition davantage de puissance. L’utilisation décorative des mots « prévoyance »
et « sécurité » se place dans le même contexte Art déco.
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Vue de la grande verrière du 2nd niveau (détail).
Cl. C. Lafférrière ©
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La plus
grande verrière se trouve au deuxième niveau. Un caducée médical est composé de
deux serpents verts qui évoquent la prudence. Ils luttent avec une baguette
dorée, surmontée d’une colombe dont les ailes symbolisent l’activité. Des
dalles de verre rectangulaires offrent une belle transparence bleutée. La
combinaison des couleurs produit une sorte de miroitement.Ces vitraux
s’inscrivent donc dans une démarche décorative Art déco et l’on voit comment
l’architecte et le maître-verrier montrent une volonté de se positionner par
rapport à l’art des années 30 dans une petite ville comme Mont de Marsan, alors
que l’époque n’est plus en phase avec ce style. La symbolique de ces baies
correspond tout à fait à l’esprit de la Sécurité Sociale créée la même année,
en 1946. Les deux personnages incarnant la Sécurité et la Prévoyance sont
caractéristiques des principes et valeurs sur lesquels cette institution s’est
alors établie. Ils font référence aux luttes sociales des XIXe et XXe siècles,
durant lesquels les ouvriers, dépourvus d’une réelle protection sociale, ont payé
un prix fort. Le thème des deux colombes sur deux vitraux renvoie à cet espoir
de paix sociale dont était porteur le projet de création de la Sécurité Sociale.
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Vue de la verrière de l'entresol (détail).
Cl. C. Lafférrière ©
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Le nouveau bâtiment
ouvre ses locaux au personnel de la Sécurité Sociale à la date prévue le 15
juin 1951, mais les trois baies de l'immeuble, déjà occupé, ne sont pas encore
fermées. En effet, quelques opalines blanches ont subi des dégâts pendant le
transport des caisses, et Dépruneaux demande aussitôt la réparation par le
poseur[9].
Par la suite, l’arc
en plein cintre du hall est comblé par la mise en place d'une porte coupe-feu qui
assombrit l'entrée et divise l’harmonie de l’espace. Il ne fait aucun doute que le hall flambant neuf permettait
de saisir l’élégance et l’harmonie de l’ensemble du volume architectural.
Actuellement à vendre, l'immeuble va changer d’orientation et l'avenir de ces
verrières devient préoccupant.
Une protection au titre des Monuments Historiques permettrait certainement de
garantir une surveillance de ce patrimoine montois, qui constitue un ensemble
nouveau, insolite et méconnu.
_______________________
[1] La date du 23 mai 1936 se trouve près du cachet d’Henri Dépruneaux
(Arch. dép. des Landes, 2O 1377, pl. 3787 et 3788).
[2] L’évolution du programme est précisée dans
une importante correspondance accompagnée du projet, de plans façades, de
dessins, de photos et d'une aquarelle de vitrail non encore cotée (Arch. dép. des Landes, fonds 82 J 71 du cabinet d’architectes Dépruneaux,
dossier de l’ancien bâtiment de la Sécurité Sociale, 1946-1971).
[3] La plus grande des trois verrières mesure 3,
20 m de haut sur 1, 53 m de large.
[4] Lettre de Pierre Dépruneaux à la société anonyme
Mauméjean Frères, 8 janvier 1951.
[5] Lettre de Charles
Mauméjean à Pierre Dépruneaux, 17 janvier 1951.
[6] Mallet-Stevens (R.), « Les
vitraux de Barillet », Les Arts
de la Maison, Paris, Albert Morancé, 1926, p. 10.
[7] Lettre de Mauméjean à Dépruneaux, 17 janvier 1951
[8] Lettre à Dépruneaux, 14 février 1951
[9] Lettre à Messieurs Mauméjean Frères, 21 juillet 1951.
Bibliographie sélective :
- HAURIE (B.), « Les tableaux de lumière de Mont de Marsan », Le Festin,
nº 84, 2012, pp. 84-87.