29 septembre 2013

À la découverte d'une oeuvre


L'ancien bâtiment de la Sécurité Sociale à Mont de Marsan



par Béatrice Haurie, docteur en histoire de l'art


Vue de la maison Bié, devenue le Cours 

Secondaire pour Jeunes Filles en 1903
Cl. Arch. Dép. des Landes ©
Les trois verrières du bâtiment de la Sécurité Sociale, 8 rue du Maréchal Bosquet à Mont de Marsan, sont réalisées à partir de 1951 après les transformations de l’ancien Cours Secondaire pour jeunes filles. Les architectes sont les montois Henri Dépruneaux (1867-1953) et son fils Pierre Dépruneaux (1898-1978). Henri fait les plans de la démolition de la partie arrière du Cours Secondaire à partir de 1936[1]. Pierre apporte la commande des baies à la société anonyme Mauméjean frères, le 8 janvier 1951[2]

Vue du hall d'entrée de l'ancien 

bâtiment de la Sécurité Sociale.
Cl. C. Lafférrière ©

Situées sur la façade Nord-Est de l’édifice, les verrières, placées dans des châssis métalliques, éclairent, grâce à leurs dimensions monumentales, une imposante cage d’escalier[3]. Seulement visibles de l’intérieur, elles ne sont pas mises en valeur depuis l’extérieur puisque la volonté de Pierre Dépruneaux est « de chercher à cacher à la vue des occupants du bâtiment la ruelle assez sombre et dépourvue d’intérêt où elles prennent jour[4] ». Étant donné la situation de lumière assez précaire, Charles Mauméjean propose de souligner l’éclairage naturel par une triple verrière composée de « verres multiformes blancs et jaunâtres accrochant la lumière et la réfléchissant au travers de prismes de quelques verres en relief, émaillant l’arabesque des fonds[5] ». Dans la même lettre, le maître-verrier indique que les matériaux utilisés sont des « verres translucides pour les gris blanc, opaques pour les opalines blanches et noires ».

Détail des vitraux de Charles Mauméjean.Cl. C. Lafférrière ©
Serties dans un treillage de plomb, ces compositions abstraites et géométriques sont proches des œuvres néo-plastiques du groupe hollandais De Stijl, qui s’intéresse à la technique du « vitrail blanc » réalisé à partir de verres imprimés fournis par l'industrie. Cette technique, rendue célèbre par le maître verrier Louis Barillet, séduit l’architecte Robert Mallet-Stevens qui considère le vitrail comme un élément constitutif de l’architecture. Le fondateur de l’Art international écrit en 1927 : « Dans un escalier, le luxe de la couleur ne s’impose pas …[…] Au contraire, le vitrail fait de verres blancs spéciaux offre de nombreux avantages en tant qu’éclairage. Les verres prismatiques, grâce à leurs facettes de réfraction, dispersent rationnellement les rayons lumineux dans des pièces privées d’un grand éclairage naturel. Les innombrables types de verres imprimés distribuent de la lumière extérieure dans des directions différentes. Grâce à l’emploi judicieux de ces multiples verres donnant des gris et à l’adjonction de petits éléments opaques et de morceaux taillés dans des miroirs, Barillet a composé des vitraux d’une grande tenue et d’une réelle beauté[6] ». C’est selon cette technique très spéciale, mais dans un esprit modérément moderne souhaité par Dépruneaux, que Mauméjean conçoit les tableaux de lumière de Mont-de-Marsan. 

Vitrail de la fenêtre basse du rez-de-chaussée.
Cl. C. Lafférrière ©
L'association de petits éléments ondés et des segments de cercles bien lisibles, la clarté et la simplicité des formes, le réseau des plombs très présent, le jeu des contrastes et la force de la couleur font de ces panneaux des éléments de tradition et de modernité. Dans la frontalité des visages, Mauméjean est désireux d'un classicisme épuré et utilise un schématisme « tubiste » selon une stylisation contrôlée.


Vue de la grande verrière de l'entresol.
Cl. C. Lafférrière ©
Au rez-de-chaussée, la fenêtre basse réunit deux colombes au dessin synthétique et aux formes schématisées, volant vers le beau volume d’un disque jaune représentant le soleil. La première colombe est verte, l’autre a une palette jaune-sable. Elles sont rehaussées par l’éclat de quatre étoiles vertes, traitées en pointe de diamant. 
À l’entresol, partie la plus fréquentée de la cage d’escalier, « un motif exprimant un double visage, l’un jeune, l’autre vieux, car la prévoyance donne au jeune homme la sagesse du vieillard[7] » se détache clairement du vitrail blanc. L’homme jeune est imberbe. Son visage idéalisé est traité dans de chatoyants camaïeux de rouge, et il fixe l’éternité avec un calme olympien. Le vieillard barbu est traité dans une riche harmonie de bleus et de verts. Mauméjean qualifie la verrière de « symphonie en blanc, gris et noir avec accents de verdâtre pour la carnation du vieillard et de rose pour la carnation du jeune homme[8] ». Les couleurs vives, belles dans leur tonalité, rendent le modelé et les expressions. Elles manient avec subtilité les contrastes, pour donner à la composition davantage de puissance. L’utilisation décorative des mots « prévoyance » et « sécurité » se place dans le même contexte Art déco. 
Vue de la grande verrière du 2nd niveau (détail).
Cl. C. Lafférrière ©
La plus grande verrière se trouve au deuxième niveau. Un caducée médical est composé de deux serpents verts qui évoquent la prudence. Ils luttent avec une baguette dorée, surmontée d’une colombe dont les ailes symbolisent l’activité. Des dalles de verre rectangulaires offrent une belle transparence bleutée. La combinaison des couleurs produit une sorte de miroitement.Ces vitraux s’inscrivent donc dans une démarche décorative Art déco et l’on voit comment l’architecte et le maître-verrier montrent une volonté de se positionner par rapport à l’art des années 30 dans une petite ville comme Mont de Marsan, alors que l’époque n’est plus en phase avec ce style. La symbolique de ces baies correspond tout à fait à l’esprit de la Sécurité Sociale créée la même année, en 1946. Les deux personnages incarnant la Sécurité et la Prévoyance sont caractéristiques des principes et valeurs sur lesquels cette institution s’est alors établie. Ils font référence aux luttes sociales des XIXe et XXe siècles, durant lesquels les ouvriers, dépourvus d’une réelle protection sociale, ont payé un prix fort. Le thème des deux colombes sur deux vitraux renvoie à cet espoir de paix sociale dont était porteur le projet de création de la Sécurité Sociale.

Vue de la verrière de l'entresol (détail).
Cl. C. Lafférrière ©

Le nouveau bâtiment ouvre ses locaux au personnel de la Sécurité Sociale à la date prévue le 15 juin 1951, mais les trois baies de l'immeuble, déjà occupé, ne sont pas encore fermées. En effet, quelques opalines blanches ont subi des dégâts pendant le transport des caisses, et Dépruneaux demande aussitôt la réparation par le poseur[9]. Par la suite, l’arc en plein cintre du hall est comblé par la mise en place d'une porte coupe-feu qui assombrit l'entrée et divise l’harmonie de l’espace. Il ne fait aucun doute que le hall flambant neuf permettait de saisir l’élégance et l’harmonie de l’ensemble du volume architectural. 
Actuellement à vendre, l'immeuble va changer d’orientation et l'avenir de ces verrières devient préoccupant. Une protection au titre des Monuments Historiques permettrait certainement de garantir une surveillance de ce patrimoine montois, qui constitue un ensemble nouveau, insolite et méconnu.

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[1] La date du 23 mai 1936 se trouve près du cachet d’Henri Dépruneaux (Arch. dép. des Landes, 2O 1377, pl. 3787 et 3788).
[2] L’évolution du programme est précisée dans une importante correspondance accompagnée du projet, de plans façades, de dessins, de photos et d'une aquarelle de vitrail non encore cotée (Arch. dép. des Landes, fonds 82 J 71 du cabinet d’architectes Dépruneaux, dossier de l’ancien bâtiment de la Sécurité Sociale, 1946-1971).
[3] La plus grande des trois verrières mesure 3, 20 m de haut sur 1, 53 m de large.
[4] Lettre de Pierre Dépruneaux à la société anonyme Mauméjean Frères, 8 janvier 1951.
[5] Lettre de Charles Mauméjean à Pierre Dépruneaux, 17 janvier 1951.
[6] Mallet-Stevens (R.), « Les vitraux de Barillet », Les Arts de la Maison, Paris, Albert Morancé, 1926, p. 10.
[7] Lettre de Mauméjean à Dépruneaux, 17 janvier 1951
[8] Lettre à Dépruneaux, 14 février 1951
[9] Lettre à Messieurs Mauméjean Frères, 21 juillet 1951.


Bibliographie sélective :

HAURIE (B.), « Les tableaux de lumière de Mont de Marsan », Le Festin, nº 84, 2012, pp. 84-87.