20 mai 2013

Parlons technique !

#1 Les documents graphiques préparatoires

Texte et photographies par Benoit Manauté


Qu'il soit civil ou religieux, le vitrail - défini par Nicole Blondel comme un "ensemble de pièces de verre [...] découpées en formes diverses selon un dessin préétabli" - reste le résultat d'une longue chaine d'opérations, nécessitant l'intervention de plusieurs ouvriers très spécialisés. 
Chez Mauméjean, comme dans l'ensemble des maisons de vitrail des XIXe et XXe siècles, sa réalisation débutait par l'exécution d'une succession d'outils graphiques préparatoires destinés à faciliter sa réalisation et sa mise en place.

Mauméjean Frères
Ange agenouillé (étude)
S.d
Crayon et encre sur papier, dimensions inconnues
Alcalà de Henares, atelier Mauméjean
De manière générale, le peintre verrier commençait par dessiner une "étude" (on peut également parler "d'esquisse" ou "d'ébauche"). 
Réalisée au crayon ou à l’encre, sur une ordinaire feuille de papier, ce premier document témoignait, par son caractère enlevé et inachevé, de l’inspiration de son auteur, qui ne cherchait alors qu’à fixer les grandes lignes d’une composition précisée, plus tard, lors de la phase de conception de la maquette. Représentant la totalité du décor ou le simple détail d’un personnage, l’esquisse était toujours de taille réduite.

Cette étude passait ensuite entre les mains d’un peintre ou d'un dessinateur chargé de préparer une "maquette" qui devait servir de référence lors des différents échanges concernant la conception du programme et la finalisation de la commande.
Tracées au crayon, la plupart de ces méticuleuses représentations étaient encrées et recouvertes d’une fine couche de peinture, avant d’être encollées sur de plus larges feuilles cartonnées puis, finalement, circonscrites d’une large et sombre bordure brune révélant toute la richesse graphique et chromatique du futur décor. Véritables trésors de délicatesse, les maquettes té́moignaient bien souvent de l’extrême attention apportée à la réalisation de ces outils qui, servant de support aux négociations menées entre l'entrepreneur et son client, présentaient la vue précise et complète d’une œuvre dores et déjà adaptée à la particularité de contraintes esthétiques, matérielles ou architecturales. 
Chez Mauméjean, comme dans nombre d’ateliers, les maquettes affichaient généralement une réduction à l’échelle 1/10. Pourtant, lorsque que la nature ou le prestige de la commande l’exigeaient, certains projets pouvaient afficher des dimensions plus importantes. Recherchant une plus grande minutie, les verriers installaient alors leurs précieuses illustrations sur de fines planches de bois teintées qui, de manière plus occasionnelle, pouvaient être montées en polyptyques.
Mauméjean Frères
Nativité, vitrail (maquette)
S.d.
Crayon et encre sur papier, dimensions. inconnues
Alcalà de Henares, atelier Mauméjean

Mauméjean Frères
La Sainte Famille, décor de mosaïque (maquette en cours de réalisation)
S.d.
Crayon et encre sur papier, dimensions inconnues
Alcalà de Henares, atelier Mauméjean

Mauméjean Frères
La Mort de Joseph, carton de vitrail
Ultime document graphique, indispensable à la confection des calibres des vitraux ou au placement des tesselles de mosaïques, le "carton" offrait un modèle direct - à grandeur d'exécution - des œuvres approuvées par le commanditaire. Contrairement à certaines pratiques observées chez d’autres verriers contemporains, le carton n’était pas, au sein des ateliers de Paris, Madrid, Saint-Sébastien et Hendaye, le support privilégié d’inscriptions destinées au guidage des nombreux ouvriers impliqués dans la réalisation ou le montage de l’œuvre. Rejetant l’ensemble des indications techniques sur de petits croquis ou plans de montage exécutés à main levée, les verriers franco-espagnols concevaient avant tout ces imposantes compositions figurées ou ornementales comme des outils à usage interne.
Les archives photographiques de la firme montrent que les frères Mauméjean produisaient ainsi différents types de cartons. Les premiers, véritables patrons de l’œuvre figurant « l’épure de la fenêtre, du modèle, de l’emplacement de l’armature métallique ou du réseau de plomb », constituaient de méticuleuses et monumentales reproductions, rarement colorées, de la maquette.
En dépit de leur caractère spectaculaire, ces cartons complets ne constituaient pas l’essentiel du fonds. Satisfaits par le rendu de maquettes dont la précision suffisait à offrir une vue intégrale et aboutie de l’œuvre, les verriers franco-espagnols privilégiaient, en effet, la confection de cartons partiels. Ainsi, tirant parti du principe de symétrie qui présidait à l’élaboration des nombreux motifs ornementaux constituant bordures, tympans et fonds, les cartonniers de la firme se contentaient-ils souvent de figurer l’intégralité d’un seul et unique pan du décor. Si nécessaire, l’autre partie, simplement ornée de quelques éléments non symétriques (figures, inscriptions, blasons, etc.) pouvait rapidement être complétée par simple retournement des calques ou des calibres.


Mauméjean Frères
Nativité, carton de vitrail

Bibliographie sélective : 

- BLONDEL (N.), Le Vitrail : vocabulaire typologique et technique, Éd. du Patrimoine, 2000 [2e éd.], 490 pages. 
MANAUTÉ (B.), " Flambe ! Illumine ! Embrase !". La place de la manufacture de vitrail et mosaïque d'art Mauméjean dans le renouveau des arts industriels franco-espagnols (1862-1957), thèse de doctorat, s. l. dir. de Dominique Dussol, Université de Pau et des Pays de l'Adour, 2012, 3 vol., 1377 pages.


À suivre....